mardi 27 août 2013

Tragédie au Bangladesh, promesses d'indemnités: les survivants sceptiques

(Paru le 2 mai 2013 dans La Presse)


(Savar, Bangladesh) - Au Bangladesh, une semaine après l'effondrement d'un édifice abritant cinq manufactures de vêtements, on continue de compter les morts. Malgré les promesses d'aide des multinationales, qui profitaient du bas coût de leur main-d'oeuvre et des manquements aux normes de sécurité, travailleurs, survivants et familles des victimes ont peu d'espoir de voir la couleur de cette compensation.
"Mais comment la compagnie Loblaw va-t-elle faire pour nous distribuer son argent?" Alité à l'hôpital, jambe et bras droits plâtrés, Khalid Reza Pintu reste songeur lorsqu'on lui annonce l'engagement de la société canadienne à aider de manière "significative" ceux qui, jusqu'à l'effondrement de leur manufacture, confectionnaient ses vêtements sous étiquette Joe Fresh.
Son patron est en prison, et l'édifice qui abritait l'atelier n'est plus qu'un tas de ruines. Quand il sortira de l'hôpital, dans quelques jours, qui réussira à le retracer pour lui fournir de l'aide? Comment se tenir informé pour la réclamer?
Idem pour les compensations gouvernementales. Lundi, la première ministre Sheikh Hasina est passée à l'hôpital Enam, près du site de l'effondrement, et lui a donné une enveloppe de 10 000 takas (130$) comptant, comme à chaque survivant. Ceux qui avaient reçu leur congé ont raté ses largesses.
Un bilan contesté
Hier matin, devant les ruines du Rana Plaza, l'édifice qui abritait cinq manufactures de vêtements à Savar - un faubourg de la capitale, Dacca -, les proches des travailleurs à la recherche d'un signe de vie ou de mort de leur bien-aimé étaient sceptiques quant au bilan officiel de 407 morts et de 149 disparus.
"Il y a encore plus de 1000 cadavres à l'intérieur!" estimait Ripa Shahine, dont le frère Mohammad était repasseur. Selon elle, le gouvernement cherche à minimiser le bilan pour ne pas attiser la colère populaire et payer d'importantes compensations.
Impossible de vérifier le nombre exact de personnes qui se trouvaient dans le Rana Plaza peu après 9 h le 24 avril lorsque, en quelques secondes, les neuf étages de ce complexe se sont affaissés.
Au huitième étage, la moitié des employés avaient choisi de rester à la maison le jour de l'incident, selon le contremaître Pintu. C'est que la veille, la rumeur de fissures dans l'édifice avait tôt fait de se répandre et de semer l'inquiétude.
"En arrivant au travail le matin de l'accident, je suis allé voir mon directeur. Il m'a assuré que la compagnie prenait les fissures au sérieux, qu'il y aurait une inspection. Mais il m'a aussi dit que si nous étions destinés à mourir, nous mourrions de toute façon."
Monika Hendrum s'y est rendue malgré tout. "L'administration m'avait dit que je pouvais venir chercher mon salaire et que nous aurions une dernière journée de travail réduite." Ensuite, la manufacture devait fermer le temps de vérifier les dommages à la structure.
"J'ai senti le sol se dérober sous mes pieds, puis je me suis évanouie", se souvient Mme Hendrum, une assistante à la confection qui gagnait toujours 38$ par mois, malgré ses quatre années d'expérience.
Comme plusieurs travailleuses - 80% de la main-d'oeuvre dans l'industrie textile est féminine -, elle était le principal soutien de sa famille. Chaque mois, elle lui envoyait les deux tiers de son salaire. Aujourd'hui clouée à son lit d'hôpital, elle compte retourner dans son village, dans le nord-ouest du pays, après sa convalescence. "Je veux travailler, explique-t-elle, mais je suis trop effrayée pour remettre les pieds dans une manufacture."

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