mardi 27 août 2013

Inde: le suicide comme moyen de pression au Telangana


(Publié dans la section Enjeux de La Presse le 5 mai 2012. Depuis, le 30 juillet 2013, le gouvernement indien a annoncé la création imminente de l'État du Telangana)

HYDERABAD - Le suicide est à la hausse en Inde. Au cours des deux dernières décennies, le nombre de cas a bondi de 25%. Entre les milliers de fermiers croulant sous les dettes qui s'enlèvent la vie chaque année et les étudiants qui flanchent sous la pression familiale de la réussite, de jeunes militants politiques d'une région défavorisée ont même commencé à utiliser le suicide comme arme politique.
Le 29 novembre 2009, Srikantha Chary n'avait pas prévu mourir. Mais l'émotion était trop forte. Au milieu de la foule venue manifester contre l'arrestation du chef de file du mouvement séparatiste telanganais, il s'est versé de l'essence sur le corps et s'est immolé par le feu. Quatre jours plus tard, il a succombé à ses brûlures à l'hôpital.
L'étudiant en physiothérapie de 23 ans n'avait certainement pas imaginé que son geste inciterait le ministre de l'Intérieur indien à annoncer la création imminente de l'État du Telangana, actuellement l'une des trois régions formant l'Andhra Pradesh (Sud-Est). Depuis ce jour, les tergiversations du gouvernement ont poussé 613 jeunes - selon le décompte récent d'une ONG locale - à imiter son coup d'éclat funeste.
Seulement à la fin du mois de mars 2012, pas moins de 10 jeunes se sont enlevé la vie en autant de jours.
Leur geste fatal a de quoi être étonnant: malgré les hésitations du gouvernement central - principalement en raison de calculs électoralistes -, la création du Telangana semble bel et bien acquise. La population telanganaise y est presque entièrement favorable, les deux autres régions de l'Andhra Pradesh ne militent pas activement contre la création de l'État et la presque totalité des partis politiques nationaux et de l'État appuient l'idée.
La Constitution
Si le processus peut être long et fastidieux, il demeure que la Constitution indienne prévoit un mécanisme clair pour la naissance de nouvelles entités. Depuis l'indépendance en 1947, le pays est passé de 13 à 28 États fédérés.
Mais la passion et l'impatience sont vives chez les jeunes Telanganais. Particulièrement parmi les étudiants. Car comme Srikantha Chary, plusieurs d'entre eux sont les premiers de leur famille à quitter leur village pauvre pour poursuivre des études à Hyderabad, capitale actuelle de l'Andhra Pradesh et d'un éventuel Telangana indépendant.
Leurs perspectives futures dépendent de la création d'un État distinct. "Nous nous battons pour nos ressources naturelles, nos carrières et notre avenir", explique Deekshit Kumar, étudiant telanganais de 23 ans.
L'un des arguments principaux des séparatistes est que, depuis l'intégration de la principauté d'Hyderabad (le Telangana actuel) à l'Andhra Pradesh en 1956, les promesses pour combler l'écart de développement de la région avec le reste de l'État ne se sont jamais concrétisées.
Position paradoxale
Seule entité du pays à n'avoir jamais fait partie de l'empire britannique, le Telangana n'a pas profité des infrastructures d'éducation, d'administration et de transport mises en place par les colonisateurs. De sorte que les Telanganais - qui représentent plus du tiers des 85 millions d'habitants de l'État - demeurent aujourd'hui parmi les plus défavorisés, les moins instruits et les moins représentés dans les hautes sphères du pouvoir de l'Andhra Pradesh.
"Si nous obtenons notre État, il y aura 200 000 emplois de plus pour nous dans le secteur public", veut croire Deekshit qui, comme plusieurs Indiens issus d'une basse caste, rêve de décrocher un poste de fonctionnaire.
"Pour les étudiants, le Telangana est plus important que leur propre vie", ajoute-t-il, non sans fierté. Ami d'enfance de Srikantha Chary, Deekshit admire le geste "patriotique" fait par celui avec qui il jouait autrefois au cricket sur les chemins poussiéreux du Telangana rural.
Paradoxalement, il est toutefois contre l'idée d'utiliser le suicide comme moyen de pression sur les autorités. "Ce n'est pas le temps de mourir. Srikantha et les autres avaient un bel avenir devant eux et ils l'ont gâché. Chaque suicide nous fait perdre un soldat pour la cause du Telangana."
Position ambiguë
Cette position ambiguë à l'égard des jeunes "martyrs" est partagée par les leaders du mouvement. Le parti séparatiste Telangana Rashtra Samiti (TRS), par exemple, condamne officiellement les suicides... tout en saluant le sacrifice de ceux qui sont morts pour la cause.
À Podichedu, village natal de Srikantha Chary, le TRS a même financé l'installation d'une statue à l'image du jeune homme, en plus d'aider financièrement sa famille. Le monument a été inauguré par K.C. Rao, chef du parti, celui-là même dont la brève arrestation avait poussé le jeune étudiant à s'immoler.
Non loin de là, dans la maison qui a vu grandir Srikantha, sa mère Shankaramma porte encore le deuil de son fils, dont les portraits ornent tous les murs de la demeure. Pour cette famille de riziculteurs non propriétaires, Srikantha représentait, avec son jeune frère, une chance de se sortir de l'extrême pauvreté. Shankaramma s'estime tout de même honorée de voir sa progéniture érigée en héros martyr. "Mon fils est mort pour les pauvres du Telangana. Quand l'État sera créé, ils obtiendront des emplois. Et cela me rend fière."
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Le géant décentralisé
Comme le Canada, la fédération indienne est fortement inspirée du système parlementaire britannique. Les 28 États indiens disposent de larges pouvoirs, notamment en santé, en justice et dans les services publics, et les pouvoirs vitaux - dans un pays encore agraire à 60% - des ressources hydrauliques et de l'agriculture. Le gouvernement central gère quant à lui principalement les questions de défense, d'affaires étrangères, de fiscalité et les relations entre les États. Certains pouvoirs, comme ceux en éducation, sont partagés.

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