mardi 27 août 2013

Cachemire: entre tensions et beauté


(Publié dans le cahier Voyage de La Presse le 17 novembre 2012)



SRINAGAR - Déchiré entre l'Inde et le Pakistan depuis plus de six décennies, le Cachemire est la poudrière du sous-continent indien. Même si la menace de reprise des hostilités entre les deux frères ennemis plane toujours, la majestueuse vallée demeure l'une des destinations de vacances préférées des Indiens.
Le Cachemire, c'est le paradis terrestre perdu en raison de la convoitise immodérée des hommes. C'est la grande blessure jamais cicatrisée de la partition des Indes britanniques de 1947. Il a suffi de quelques mois d'hésitation de la part des leaders cachemiriens de l'époque - partagés entre l'indépendance, l'annexion au Pakistan islamique ou celle à l'Inde séculière et démocratique - pour faire perdre patience aux deux grands voisins. Ni l'un ni l'autre ne voulant laisser cette région stratégique à la frontière chinoise entre les mains de son rival, ils l'ont envahie, violée, occupée.
Depuis, le Cachemire a connu trois guerres éclair et nage dans l'instabilité chronique. Et à chaque soubresaut, l'industrie touristique s'éteint pour de longs mois. Le dernier épisode remonte à l'été 2010: manifestations, jets de pierre, réplique militaire. Plus de 100 morts, surtout des étudiants et des hommes.
Mais malgré tout cela, les touristes - qui ne sont pas la cible des violences - finissent par revenir dans la luxuriante vallée. Lors de notre passage en mai 2012, les lieux d'hébergement étaient à nouveau remplis. Car les raisons ne manquent pas de venir au Cachemire.
On s'en rend compte une fois passé le tunnel Jawahar de 2,5 km, reliant le Jammu et le Cachemire (qui, ensemble, forment un État de l'Inde, bien que tout les sépare, aussi bien géographiquement que culturellement et religieusement). À l'autre bout, nous accueille le drôlement nommé belvédère du Titanic, qui offre une vue splendide sur la vallée, ses pâturages, ses routes sinueuses, ses champs et ses vergers à flanc de montagne.
À ce moment de notre longue route de plus de neuf heures entre la ville de Jammu et la capitale cachemirienne Srinagar - 290 km en jeep sur "l'autoroute" de montagne -, il y a longtemps que les postes de contrôle et convois militaires ne nous surprennent plus. Et c'est tant mieux, car à Srinagar, même en ces temps de paix relative, les soldats sont à tous les coins de rue, lourdement armés. Occupation, disent les Cachemiriens; mesure de sécurité antiterroriste, répondent les autorités indiennes.
Srinagar et ses péniches
Étrange situation pour des vacances en famille, vous en conviendrez. Mais les Indiens n'en démordent pas. La fraîcheur de la vallée demeure pour eux l'un des meilleurs remèdes contre la fournaise qu'est le reste du pays pendant l'été.
Près des quais du lac Dal, les familles pendjabies, delhiites, gujaraties et autres arrivent à toute heure du jour et de la nuit. Quatre générations entassées dans des jeeps débordants de marmots fatigués. Ils passeront leur séjour sur l'une des péniches, habitations flottantes en bois qui font la renommée de la capitale. Pour se déplacer, ils feront appel aux shikaras, bateaux-taxis assurant la navette entre les péniches et la promenade achalandée qui longe le lac.
À moins de venir en groupe, il est toutefois préférable de loger dans les nombreuses auberges et hôtels aux alentours, moins chers et moins risqués pour les vols. C'est ce que recommandent les guides de voyage, qui mettent en garde contre l'avarice des propriétaires de péniche, spécialistes pour trouver des frais supplémentaires à ajouter à la facture à la fin du séjour.
Société distincte
Le sentiment d'aliénation des Cachemiriens par rapport au reste du pays est palpable dans tous les pans du quotidien de la province rebelle. Leur appartenance nationale ne fait ainsi aucun doute. Tous les habitants de Srinagar à qui j'ai demandé quel était leur pays ont répondu sans hésitation: "Cachemire!"
Musulmans dans un pays à forte majorité hindoue, les problèmes politiques ont poussé plusieurs jeunes à se recroqueviller sur leur identité et leur religion pour y trouver un salut, certains allant jusqu'à rejoindre le djihad séparatiste.
Ne cherchez pas les grands quotidiens indiens ici. Ils arrivent avec une journée de retard et de toute façon, ils ne font pas le poids devant les journaux locaux. L'intelligentsia anglophone cachemirienne ne lit pas le Times of India ou l'Indian Express, mais le Greater Kashmir ou le Kashmir Reader. Et pour que ces quotidiens évoquent l'actualité du ROI (Rest of India), il faut que celle-ci soit liée à la question nationale cachemirienne. Sinon, on s'en fout.
Le seul sujet qui unit la région rebelle et son "occupant" ? Le sport, bien sûr. Comme partout en Inde, le cricket y est une religion qui se pratique même sur les terrains les plus improbables.
Qu'on le considère comme une partie intégrante ou non de l'Inde, le Cachemire demeure ainsi farouchement indépendant. Et au-delà des paysages, c'est ce qui fait son charme.
POUR S'Y RENDRE
La route de montagne entre Jammu et la vallée du Cachemire (jeep, car ou taxi) est éprouvante, achalandée, sinueuse, dangereuse, mais surtout époustouflante. Si vous voulez l'éviter, plusieurs compagnies aériennes desservent Srinagar pour environ 100$ l'aller simple, en partance de Bombay, Delhi et Jammu.

Jésus de Srinagar

En explorant la vieille ville de Srinagar, on ne s'étonne pas de rencontrer de nombreuses mosquées, le Cachemire étant à 96% composé de musulmans. Mais que dire du temple Rozabal, caché dans un quartier de ruelles sans nom, où reposerait le Christ notre Seigneur? Selon une thèse avancée par des voyageurs étrangers il y a deux siècles, Jésus de Nazareth aurait survécu à sa crucifixion pour ensuite prendre la route du Cachemire, où il serait mort à un âge très avancé. Il y a peu de preuves convaincantes pour étayer cette version de l'histoire, mais cela n'empêche pas certaines sectes chrétiennes de l'appuyer et de venir en pèlerinage à Srinagar. Or, faire toute la route pour cela peut se révéler décevant, puisqu'il est impossible d'entrer dans le modeste temple où, officiellement, repose un prêcheur musulman du Moyen Âge. Un châssis grillagé permet à peine d'apercevoir le tombeau, drapé d'un tapis vert, couleur de l'islam.

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