lundi 2 août 2010

Les nomades de Mongolie frappés par des froids extrêmes

Reportage publié dans La Croix, Le Soir et La Presse en mai 2010.

Reportage radio à Radio-Canada sur le même sujet: Le nomadisme mongol en voie d'extinction


Sept millions de têtes de bétail sont mortes à cause de l'hiver le plus froid depuis quarante ans, et des milliers de familles d'éleveurs nomades partent planter leur yourte dans la capitale surpeuplée.

(Oulan-Bator et province de Boulgan, Mongolie) - Ratnabatam Batam traîne le cadavre de l'un de ses moutons hors de son enclos. Il le dépose près de dizaines d'autres carcasses, à une centaine de mètres de sa yourte, où une chèvre affamée arrache les entrailles de l'une de ses congénères mortes. L'hiver est presque terminé, mais les animaux affaiblis de Ratnabatam meurent toujours. Des 600 chèvres et moutons qu'il avait, il n'en compte plus qu'environ 200.

« J'ai perdu vingt ans de travail en trois mois. Chaque matin, j'ai peur d'entrer dans l'enclos et de trouver d'autres de mes animaux morts », confie l'éleveur, qui a embrassé la vie nomade au milieu des années 1980, à l'appel du Parti révolutionnaire du peuple mongol, alors parti unique. « Cet hiver, les animaux avaient si froid qu'ils tremblaient et n'arrivaient pas à creuser la neige épaisse pour aller brouter l'herbe. Certains avaient si faim qu'ils mangeaient le pelage des autres », raconte-t-il.

Malgré tout, Ratnabatam refuse d'abandonner sa vie de pasteur dans la province de Boulgan, à 450 km au nord-ouest de la capitale. L'homme de 55 ans promet de se battre « jusqu'au bout » pour faire renaître son troupeau, au lieu d'aller grossir les rangs de chômeurs à Oulan-Bator.

Depuis la chute du communisme en 1990, les quartiers de yourtes et de maisonnettes sommaires n'ont cessé de s'étendre à flanc de collines dans la capitale, autour d'un centre fait de vieux édifices à l'architecture socialiste. De 540 000 habitants, la population d'Oulan-Bator est passée à 1,1 million, voire 1,6 million, selon les estimations. Environ la moitié des trois millions de Mongols s'entassent aujourd'hui dans la capitale du pays le moins densément peuplé du monde, avec 1,9 habitant au kilomètre carré.

Après les derniers hivers, plutôt doux, 27 000 familles en moyenne quittaient la province, le printemps venu, pour installer leur yourte dans les faubourgs poussiéreux, pollués et sans eau courante de la capitale. Mais cette année, le dzud blanc (hiver rigoureux très enneigé) a frappé presque toutes les régions du pays. Les températures sont descendues jusqu'à - 52 °C lors de l'hiver le plus sévère depuis quarante ans. Plus de sept millions de têtes de bétail ont péri en Mongolie. L'exode rural ne pourra qu'être encore plus massif.

« Oulan-Bator n'est pas prête à les accueillir, mais elle doit les accueillir », indique Ourantsoodj Gombosouren, directrice du Centre pour les droits humains et le développement. « La population est déjà deux fois plus nombreuse que ce que la ville peut absorber, mais il n'y a pas de régulation et on ne peut pas les arrêter. » Depuis l'adoption d'une nouvelle Constitution en 1992, les Mongols ont le droit de circuler librement sur le territoire. Si une famille choisit la vie sédentaire, elle peut prendre possession d'un terrain libre, à Oulan-Bator ou ailleurs, puis lancer les démarches de légalisation.

Selon Ourantsoodj, la seule solution pour freiner le flux de migrants serait d'investir dans le développement régional. Elle note qu'à l'époque communiste, les éleveurs faisaient partie de coopératives et étaient mieux protégés en cas de catastrophe.« Le gouvernement était responsable de tout s'il y avait un dzud », dit-elle. Aujourd'hui, les éleveurs sont propriétaires de leur troupeau. Lorsqu'ils regardaient, impuissants, leurs bêtes mourir de froid cet hiver, c'était leur capital et leurs futurs revenus qu'ils voyaient disparaître.

Batdorg Soukhee, un autre éleveur de la province de Boulgan, a perdu plus de 80 % de ses animaux, dont son unique cheval. Il espère maintenant que la banque se montrera clémente et lui offrira un délai pour rembourser son prêt. Comme plusieurs éleveurs, il avait contracté un emprunt avant l'hiver pour acheter davantage de chèvres et ainsi augmenter sa production de cachemire.

S'il n'arrive pas à sauver le reste de son troupeau, il compte devenir assistant d'un autre éleveur. Le téléviseur installé au coin de sa yourte lui a appris qu'Oulan-Bator, où il a brièvement mis les pieds lors de son service militaire, est une ville polluée où trouver un emploi peut être difficile. « De toute façon, il n'a pas de diplôme universitaire », lance sa femme enceinte qui allaite leur deuxième fille.

Lors du dernier dzud, qui a duré trois hivers consécutifs (2000-2003) et tué plus de onze millions de têtes de bétail, Gambat Soumiya a quitté la vie d'éleveur pour se trouver un travail à Erdenet, deuxième ville du pays. Sans succès. Il dit avoir visité toutes les villes du pays pour se trouver un emploi. Il a même été extracteur illégal d'or. « Avec le recul, je regrette. Je n'aurais pas dû vendre le reste de mon bétail. Maintenant, je dis à mes amis éleveurs de continuer à prendre soin de leurs animaux restants, parce que tôt ou tard, le cheptel grandira à nouveau et, au moins, ils auront un revenu. »

Pendant ce temps, Batchtolong nivelle à coups de pic son nouveau terrain en périphérie d'Oulan-Bator, dans un quartier qui n'est pas encore électrifié ni desservi par les transports en commun, à 17 km du centre-ville. Le jeune homme de 26 ans, un installateur de climatiseurs qui a grandi avec ses grands-parents pasteurs à la campagne, y montera sa yourte pour y habiter avec sa mère. Mais pour lui, la ville n'est qu'un passage obligé. « Je vais travailler ici cinq à dix ans pour amasser de l'argent, puis j'achèterai un troupeau pour aller vivre dans la steppe », se promet-il.

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