jeudi 22 avril 2010

Attentats de Moscou: la piste des islamistes du Caucase privilégiée

Article publié dans le journal La Presse le 30 mars 2010.

Moscou - Deux attentats suicide dans le métro de Moscou hier matin ont fait 38 morts et plus de 60 blessés. Selon les autorités russes, les auteures seraient deux femmes liées à la rébellion islamiste dans le Caucase du Nord.

Le moment et le lieu avaient été choisis pour faire le plus de victimes possible: 7h57 et 8h36, lundi matin, dans des stations de métro du centre de Moscou, sur la ligne la plus fréquentée.

À la fermeture des portes, aux stations Lioubianka et Park Koultoury, les deux kamikazes ont fait détoner leur ceinture d'explosifs, tuant et blessant plusieurs passagers du métro.

Même si le métro moscovite n'avait pas connu d'attentats depuis plus de cinq ans, le modus operandi avait des airs de déjà-vu dans la capitale russe.

Quelques minutes avant de se donner la mort à quatre stations de distance, les deux femmes s'étaient engouffrées ensemble dans les profondeurs du métro. Selon les caméras de surveillance, l'une était "une jeune femme de 18-20 ans, au visage typique du Caucase et aux yeux marron".

Une jeune femme du Caucase, un peu comme celle qui s'était fait exploser à l'entrée de la station Rijskaïa en août 2004, faisant 10 victimes. Ou celles qui avaient participé, ceinturées d'explosifs, à la prise d'otages dans un théâtre de Moscou en 2002 (130 morts).

Les veuves noires

À l'époque, elles avaient été surnommées les "veuves noires". Plusieurs avaient perdu un mari, un frère ou un père, abattus par les forces de l'ordre russes lors d'opérations antiterroristes ou de "nettoyage". L'identité et le passé des deux kamikazes d'hier n'ont toutefois pas encore été déterminés.

Les autorités russes n'ont mis que quelques heures pour lier les deux femmes aux rebelles du Caucase du Nord, qui appellent à la formation d'un État islamique indépendant dans cette région historiquement trouble.

Plusieurs officiels anonymes et experts russes ont estimé que ces attentats pourraient être un acte de vengeance des rebelles après l'intensification des opérations antiterroristes dans le Caucase au cours des derniers mois. En mars, les forces russes ont tué trois des principaux leaders de la guérilla.

Le premier ministre de la Russie, Vladimir Poutine, a promis hier que les "terroristes" qui ont organisé ces attentats seraient "éliminés".

Dans la même veine, le président Dmitri Medvedev a indiqué que la lutte contre les "terroristes" se poursuivrait "sans compromis et jusqu'au bout".

À double tranchant

Nikolaï Petrov, politologue au centre Carnegie de Moscou, croit toutefois que l'intensification des opérations contre les rebelles peut s'avérer une arme à double tranchant pour le Kremlin.

"Le pouvoir comprend qu'une escalade de la violence dans le Caucase n'est pas du tout dans son intérêt, particulièrement en prévision des Jeux olympiques de 2014", qui se dérouleront à Sotchi, à quelques centaines de kilomètres de la Tchétchénie et de l'Ingouchie.

Selon lui, le Kremlin doit surtout briser le "cercle vicieux" qui entraîne plusieurs jeunes du Caucase à prendre le maquis pour venger leurs proches, innocents ou vrais rebelles, tués par les forces russes.

Sur les ondes de la radio libérale Échos de Moscou, la chroniqueuse indépendante Ioulia Latynina, experte du Caucase, a dit hier que le meilleur moyen d'empêcher ce genre d'attentat est d'offrir une "autre perspective d'avenir" aux jeunes des républiques pauvres du Caucase.

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Encadré: Contester le pouvoir dans le sang

De l'imam Chamil, qui combattit l'empire russe durant 30 ans au XIXe siècle, aux islamistes des dernières années, en passant par les indépendantistes tchétchènes de la décennie 90, le Caucase du Nord a toujours contesté le pouvoir russe. Le plus souvent dans le sang. Les attentats d'hier en sont le dernier épisode.

Entre la ville de Moscou et la région du Caucase, il y a un monde. La première est riche, instruite, relativement libérale. La deuxième dépend des subsides fédéraux, a un taux de chômage qui dépasse les 50% dans plusieurs localités et est fortement traditionaliste et religieuse.

Après une accalmie durant l'ère soviétique, les hostilités ont recommencé avec les velléités d'indépendance de l'élite politique tchétchène dès la chute de l'empire. Les Russes ont répondu par la bouche de leurs canons, craignant que la sécession tchétchène n'entraîne celle d'autres peuples.
Indépendance et religion

Militairement moins forts, des chefs de guerre tchétchènes se sont tournés vers le terrorisme. Au fil de la lutte, l'idée d'indépendance a pris une couleur religieuse. La mort du président indépendantiste tchétchène Aslan Maskhadov, tué par les forces russes en 2005, a signé la fin de la modération et des possibilités de dialogue entre les rebelles et Moscou.

Ses successeurs autoproclamés ont appelé à la guerre sainte pour former un émirat dans tout le Caucase du Nord. Ils ont exhorté leurs frères musulmans des républiques voisines d'Ingouchie et du Daguestan à s'unir à leur lutte. Depuis plusieurs années, autorités et experts estiment qu'il ne resterait guère plus que de 500 à 1000 rebelles cachés dans les forêts montagneuses de la région. Or, malgré les opérations antiterroristes incessantes des forces russes, qui éliminent régulièrement quelques dizaines d'insurgés, la rébellion tient bon et se régénère.

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Principaux attentats terroristes en Russie au cours des dernières années

Août-septembre 1999
Cinq attentats dans des immeubles en banlieue de Moscou font 293 morts. Vladimir Poutine accuse les indépendantistes tchétchènes d'en être les auteurs et lance la deuxième guerre de Tchétchénie.

Octobre 2002
Un commando tchétchène prend en otages plus de 800 personnes au théâtre de la Doubrovka à Moscou. Après trois jours, les forces russes lancent l'assaut à l'aide d'un gaz toxique: 130 otages meurent, la plupart en raison du gaz.

Février 2004
Un attentat à la station Avtozavodskaïa, revendiqué par un groupe tchétchène, fait 41 morts.

Septembre 2004
Une prise d'otages par un commando pro-tchétchène se termine par un assaut des forces russes. Plus de 330 morts, dont une majorité d'enfants.

Novembre 2009
Une bombe posée sur les rails explose au passage du train Nevski Ekspress, reliant Moscou et Saint-Pétersbourg. L'attaque a fait 26 morts. Les autorités russes arrêtent des rebelles islamistes jugés responsables de l'attentat.

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