dimanche 23 août 2009

Ossétie du Sud: Un an plus tard

Reportage publié (sous différentes formes) dans les journaux La Croix, La Tribune/24 heures, Le Soir et La Presse les 7 et 8 août 2009.

Tskhinvali, Ossétie du Sud

Dans la nuit du 7 au 8 août 2008, à la suite de plusieurs semaines d'escarmouches frontalières, l'armée géorgienne bombarde Tskhinvali, la capitale de la région sécessionniste de l'Ossétie du Sud appuyée par Moscou. Suit une confrontation éclair au cours de laquelle l'armée géorgienne sera littéralement écrasée par la force militaire russe. Un an plus tard, les traces de la guerre sont toujours présentes, sur le terrain comme dans les esprits. Tenue à bout de bras par la Russie, l'Ossétie du Sud veut maintenant croire à son avenir sous la protection de Moscou.
Dans une cour d'immeubles du centre de Tskhinvali, des drapeaux sud-ossètes et russes sèchent côte à côte sur une corde à linge. « Sans les Russes, il ne resterait plus rien », lance Zemfira, assise quelques mètres plus loin.

Cette femme de 35 ans est reconnaissante à la Russie d'avoir chassé l'armée géorgienne il y a un an. Les immeubles d'habitation qui entourent la cour ont pour la plupart été frappés par les bombardements géorgiens. Aujourd'hui, les façades extérieures ont été rénovées et de nouvelles fenêtres ont été installées. « Ce sont des Tchétchènes qui ont fait le travail », souligne Evelina, l'amie de Zemfira, un peu irritée.

Les Russes ont bien voulu financer la reconstruction de l'Ossétie du Sud, mais cela doit se faire à leurs conditions. Les grands chantiers n'ont commencé qu'il y a trois semaines, soit onze mois après le conflit. La plupart des travaux sont menés par des entreprises russes du Caucase du Nord, l'Ossétie du Sud, avec une population estimée entre 40 000 et 60 000 habitants, n'ayant qu'une main-d'oeuvre limitée. « Ils viennent avec leurs travailleurs, leurs spécialistes, et même leurs femmes pour leur préparer à manger ! », se plaint Evelina, qui, une fois le loyer payé, doit faire vivre une famille de trois enfants avec les 90 € qui restent du salaire de son mari militaire.

Il faut dire que, même avant la guerre de l'été dernier, la vie n'a jamais été rose en Ossétie du Sud. « Ça fait vingt ans que nous vivons comme ça. » Les habitants de ce territoire, autrefois république autonome de la Géorgie soviétique, n'ont, par exemple, jamais eu l'eau chaude.

C'est pourquoi Zourab Kabisov, directeur de la commission de reconstruction, parle surtout de « construction ». Selon lui, au-delà de son indépendance politique, la petite république doit surtout se bâtir une indépendance économique. « L'Ossétie du Sud a toujours été dépendante. Durant l'époque soviétique, nos usines étaient liées à d'autres usines ailleurs en URSS. Nous n'avons jamais eu une production de biens de première nécessité. »

Pour ce faire, cet homme d'affaires moscovite d'origine ossète, revenu à Tskhinvali il y a cinq ans, croit que la république devra miser sur les petites et moyennes entreprises du secteur agroalimentaire. Pour l'instant, l'Ossétie du Sud vit aux crochets de Moscou.

En deux ans, la Russie aura investi 10 milliards de roubles (230 millions d'euros) pour les projets de reconstruction. Elle prévoit d'en dépenser autant l'an prochain. « Nous serons toujours des frères avec la Russie, c'est indiscutable, dit Zourab Kabisov. Mais nous voudrions qu'elle nous voie comme un partenaire, comme un pays qu'elle a aidé à remettre sur pied, et non comme un poids. »

Longtemps, le seul souhait de Tskhinvali a été un rattachement à la Fédération de Russie. Lors d'un entretien avec votre serviteur, le président sud-ossète Édouard Kokoïty a toutefois laissé entendre que l'idée devait être abandonnée, Moscou n'ayant jamais montré d'intentions en ce sens.

« Oui, il y a cette volonté de notre peuple de s'unir [ls Ossètes du Nord habitent en Russie NDLR]. Mais les détails sur la forme de cette union, en prenant en compte les réalités actuelles, peuvent être multiples », a-t-il expliqué, citant l'exemple de l'Europe : « Ils ont une monnaie commune, des règlements communs, mais aucun de ces États n'a été privé de son indépendance. »
Selon Édouard Kokoïty, la Russie n'a jamais eu l'intention d'annexer l'Ossétie du Sud, comme l'en accuse Tbilissi.

Tskhinvali est toutefois bien conscient de servir de pion géopolitique à la Russie contre la Géorgie pro-occidentale, souligne la journaliste d'opposition Maria Lipy. « Nous savons très bien que la Russie a combattu pour défendre ses propres intérêts. Mais heureusement, nos intérêts coïncident avec les leurs », souligne-t-elle.

C'est pourquoi l'armée russe, si elle est invisible à Tskhinvali, protège bien les frontières de l'Ossétie du Sud, rendant peu probable une autre attaque massive en provenance de Géorgie. Russes, Ossètes et Géorgiens assurent tous vouloir éviter une nouvelle guerre, et accusent l'ennemi de se prêter à des « provocations ».

Les incidents se sont multipliés à l'approche du premier anniversaire du conflit et le spectre d'un nouveau conflit armé a du même coup resurgi. « Même ceux qui auraient les moyens de rénover leur appartement attendent, au cas où il y aurait une nouvelle guerre », dit Zemfira, rencontrée dans la cour intérieure.

Pavel, qui a combattu l'an dernier et a accompagné les troupes russes près de Gori pour « faire la peau aux Géorgiens », croit qu'une nouvelle guerre pourrait coûter cher à Tbilissi, maintenant que les Russes appuient officiellement les séparatistes. « J'espère pour eux qu'ils n'attaqueront pas encore une fois. Dans ce cas, ils perdront d'autres terres qui sont historiquement ossètes », dit Pavel, reprenant les mots du président Kokoïty, qui voudrait étendre son territoire.

Les Ossètes du Sud n'en veulent pas seulement à la Géorgie, mais aussi à la communauté internationale, accusée d'avoir un parti pris en faveur de Tbilissi. Un volontaire non armé rencontré à un poste frontière enrage : « Pourquoi l'Otan n'a pas donné un seul litre de lait à mon fils de 8 ans ? Toute l'aide humanitaire est allée en Géorgie ! », s'insurge l'homme.

Vladimir, 82 ans, habite à quelques centaines de mètres de la « frontière » géorgienne. Ce vétéran de la première guerre d'indépendance de 1991-1992 porte toujours les traces de balles géorgiennes sur son corps. Avant le conflit de l'an dernier, il allait dans les villages géorgiens voisins acheter des produits. La guerre de l'an dernier a coupé les derniers liens qui l'unissaient à la Géorgie. « Il ne sera plus jamais possible de vivre avec eux », tranche-t-il.

INTERVIEW AVEC ÉDOUARD KOKOÏTY, PRÉSIDENT DE L'OSSÉTIE DU SUD DEPUIS DÉCEMBRE 2001

Comptez-vous encore sur un rattachement à la Fédération de Russie, alors que Moscou ne semble pas montrer d’intérêt à cet égard?
La Russie a non seulement reconnu notre État, mais elle a créé des relations interétatiques normales avec l’Ossétie du Sud. Oui, il y a cette volonté de notre peuple de s’unir (ndlr: avec les Ossètes du Nord, qui habitent en Russie). Mais les détails de la forme de l’union, en prenant en compte les réalités actuelles, peuvent être multiples. Oui nous sommes prêts à nous intégrer avec la Russie, mais pas dans la Russie. La Russie n’a jamais eu l’intention d’annexer les territoires ossète et abkhaze.

Qu’attendez-vous de la communauté internationale?
Malheureusement, nous remarquons que la communauté internationale n’a pas tiré de conclusions sérieuses des événements qui sont arrivés (l’an dernier). Ils auraient pu et peuvent agir sur la Géorgie. Ils peuvent arrêter de l’armer. Le plus rapidement renonceront-ils à leur approche tendancieuse et à leur double standard, le mieux ce sera.

Pourquoi n’y a-t-il pas d’observateurs européens en Ossétie du Sud?
(Avant la guerre), les représentants de l’OSCE qui remplissaient une mission concrète n’ont pas réagi aux violations du côté géorgien. Ils n’ont pas enregistré les cas de tirs ou de meurtres de nos citoyens. Ils se sont tus sur ces faits. Et les observateurs européens font la même chose aujourd’hui.

Un nouveau conflit est-il possible?
Nous ne voulons pas de guerre. Nous sommes un peuple pacifique. Nous avons subi trois génocides de la part de la Géorgie. Nous appelons encore une fois l’administration géorgienne à réfléchir et à cesser ses actions provocatrices et revanchardes. Nous demandons depuis plus de quatre ans à la Géorgie de signer un accord de non-utilisation de la force (pour régler le conflit), mais elle refuse.

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