vendredi 15 mai 2009

Mariage gai: début d'un combat inégal en Russie

Publié dans La Presse, le 13 mai 2009.

(Moscou) Un premier couple lesbien a tenté sans succès de s'unir dans un bureau de mariages de Moscou hier. Dans une ville où le maire déclare publiquement que l'homosexualité est «l'oeuvre de Satan», le combat des gais n'a rien de joyeux.

Dans une salle exiguë du ZAGS (bureau des mariages) de l'arrondissement de Tver, des portraits de jeunes mariés tout sourires pendent aux murs. Celui des deux Irina n'y sera pas.

Devant plusieurs journalistes étrangers - et quelques russes -, Irina Chapitko et Irina Fedotova, qui partagent leur vie depuis cinq ans, se sont vu refuser leur demande d'enregistrement de mariage.Selon le Code de la famille russe, un mariage ne peut consister qu'en l'union volontaire d'un homme et d'une femme.

L'une en costume blanc l'autre en noir, les deux femmes s'attendaient à ce verdict. Elles ont d'ailleurs déjà prévu aller se marier à Toronto cet été. Elles tenaient tout de même à faire ce geste symbolique.

«Nous ne voulons pas nous cacher», dit Irina Chapitko, 32 ans, qui tient un salon de beauté. «Nous voulons être une famille comme les autres, poursuit sa conjointe, agente de relations publiques, de deux ans sa cadette. Et bien sûr que nous voulons des enfants!»

De retour de Toronto, les deux Irina se lanceront dans une nouvelle bataille pour faire reconnaître leur mariage en Russie. Selon leur avocat, le militant gai Nikolaï Alekseev, rien dans le Code de la famille ne précise que seules les unions hétérosexuelles conclues à l'étranger peuvent être reconnues.

Pour Nikolaï Alekseev, il ne s'agit que d'une bataille parmi d'autres dans la guerre qu'il mène pour l'avancement des droits des homosexuels en Russie.

Violence

Depuis quatre ans, la mairie de Moscou refuse systématiquement d'autoriser la tenue d'un défilé de la fierté gaie dans la capitale. Lorsque les organisateurs ont fait fi de cette interdiction, les participants ont été passés à tabac par des militants nationalistes et religieux.

«L'homophobie est très forte en Russie parce qu'elle est soutenue par les autorités», souligne M. Alekseev. Et lorsque des personnalités font des déclarations homophobes, «elle décuple», dit-il, en référence aux propos du maire de Moscou, Iouri Loujkov, qui a qualifié les défilés gais d'«armes de destruction massive» utilisée par l'Occident pour détruire la Russie.

Samedi prochain, le mouvement homosexuel tiendra encore une fois son défilé en dépit de l'interdiction. M. Alekseev espère que la finale du concours Eurovision, qui a lieu le même jour à Moscou, permettra d'attirer l'attention des médias internationaux sur la situation des gais en Russie. Un participant néerlandais, ouvertement homosexuel, a d'ailleurs déjà annoncé qu'il boycotterait la finale si le défilé se terminait dans le sang.

Poutine et les terroristes

Quelques heures après la cérémonie de mariage avortée, un groupe d'associations nationalistes apportait son soutien à la mairie lors d'une conférence de presse.

«Nous ne sommes pas contre les gais en tant que tels. Chaque personne a ses péchés. Nous sommes contre la légalisation du péché», a expliqué Mikhaïl Nalimov, président de Jeunesse orthodoxe unie. Selon lui, l'homosexualité est un phénomène importé d'Occident qui corrompt la société russe.

Dmitri Terekhov, vice-président de l'organisation, a été plus violent dans ces commentaires, qualifiant le défilé gai de «défilé des sodomites» et l'homosexualité de «terrorisme spirituel». Reprenant une citation célèbre de Vladimir Poutine visant les «terroristes tchétchènes», M. Terekhov a appelé à «buter jusque dans les chiottes» le mouvement gai, précisant par la suite qu'il s'agissait d'une «image» et qu'il n'incitait pas à la violence.

Nikolaï Alekseev croit savoir pourquoi la mairie et les nationalistes ne veulent pas de défilé gai. «Ils ont peur que le reste du monde voie qu'il n'y a rien d'amoral dans notre défilé et qu'ils n'ont donc aucune raison de l'interdire.»

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