samedi 13 septembre 2008

KHL: une ligue aux ambitions continentales

Dossier sur la nouvelle ligue de hockey professionnelle de Russie, publié dans le cahier des sports du journal La Presse, le 13 août 2008

Lavoie, Frédérick
Collaboration spéciale

Moscou - Début juillet, Jaromir Jagr a créé une onde de choc en faisant savoir qu'il ne jouerait pas la prochaine saison avec les Rangers de New York, mais avec... l'Avangard d'Omsk, dans laKHL. La quoi? Une semaine plus tard, Alexander Radulov a rompu son contrat avec les Predators de Nashville pour se joindre au Salavat Ioulaev d'Oufa. À peine créée, la Ligue continentale de hockey (KHL) de Russie venait de s'assurer un certain prestige. Et celle qui est déjà considérée comme la deuxième meilleure ligue de hockey au monde n'entend vraisemblablement pas s'arrêter là.

Ligue continentale. Le nom n'est pas fortuit. "On dit que la Russie est déjà un continent à elle seule!" blague Alekseï Lapoutine, porte-parole de la ligue. Mais les ambitions de la KHL, qui remplace la défunte Superliga russe, vont bien au-delà des frontières du plus grand pays du monde.

Déjà cette saison, des 24 équipes que compte la ligue, trois évoluent dans des pays limitrophes de la Russie: le Dynamo de Minsk (Biélorussie), le Barys d'Astana (Kazakhstan) et le Dynamo de Riga (Lettonie). Les pourparlers avec l'Energie de Karlovy Vary, champion de l'Extraliga de République tchèque l'an dernier, n'ont pas abouti cette année. Mais ce n'est que partie remise.

Le président de la KHL, Alexander Medvedev, voit encore plus loin. Quelques jours avant le début de la première saison, le 2 septembre, il a annoncé que, parmi les villes candidates pour accueillir des équipes d'expansion au cours des prochaines années, se trouvent... Londres, Paris et Milan!

Alexander Medvedev n'a peut-être aucun lien de parenté avec le président russe Dmitri Medvedev, mais il possède lui aussi les moyens de ses ambitions. En plus de diriger la ligue, il est aussi vice-président de Gazprom, le géant gazier de l'État russe, qui est l'un des plus grands commanditaires des équipes de la KHL.

Selon le journaliste sportif Dmitri Kouznetsov, l'avènement de la Ligue continentale est l'aboutissement de plusieurs années d'efforts pour remettre sur pied le hockey russe.

"Il y a 15 ans, la ligue pouvait payer 1 million de dollars pour que les chaînes de télévision diffusent ses matchs", rappelle le responsable adjoint du hockey au quotidien Sport Express.

Il faut dire qu'à la chute de l'URSS en 1991, la plupart des grands joueurs russes avaient pris le chemin de l'Amérique du Nord. Le calibre du jeu dans la Superliga était devenu pratiquement sans intérêt et les équipes manquaient de fonds.

Durant les années 90, la santé des équipes a suivi le rythme électoral. "Des gouverneurs régionaux injectaient de l'argent avec l'aide de grandes sociétés", explique M. Kouznetsov. Une défaite électorale ou une mauvaise décision commerciale pouvait donc être plus dommageable pour une équipe qu'une mauvaise saison sur la glace.

En 2004, le président Vladimir Poutine a mis fin à l'élection des gouverneurs de province, désormais directement nommés par le Kremlin. "On a eu peur que les gouverneurs laissent tomber le hockey, mais ça ne s'est pas produit."

"En Russie, le hockey n'a jamais vraiment été profitable du point de vue économique, poursuit Dmitri Kouznetsov. Si les entreprises russes investissaient dans la ligue, c'était beaucoup pour l'image."

Aujourd'hui, elles peuvent espérer un retour sur l'investissement. Le plan actuel de la KHL prévoit une rentabilité dans un horizon de cinq ans. Dmitri Kouznetsov croit que si la ligue est peut-être un peu trop optimiste dans ses prévisions, elle a les reins bien plus solides que son prédécesseur. "Des gens très sérieux sont arrivés, note-il. Ils ont réglé les problèmes de relations publiques et ils ont obtenu de bons contrats de télédiffusion."

Les exigences par rapport aux arénas, à la logistique et aux garanties financières que chaque équipe doit fournir sont désormais très strictes. L'Avtomobilist d'Ekaterinbourg l'a d'ailleurs appris à ses dépens. Le club a été exclu du tournoi avant le début de la saison, faute d'un plan d'affaires assez solide.

Évidemment, les hockeyeurs qui ont quitté l'Amérique du Nord à l'instar des Jagr, Radulov et Yashin ne l'ont pas fait pour le simple plaisir de venir disputer des matchs au fin fond de la Sibérie... Le contrat de Jaromir Jagr avec l'Avangard d'Omsk devrait lui rapporter environ 5 millions de dollars par saison. Avec le taux d'imposition unique en Russie, fixé à 13%, le contrat devient beaucoup plus avantageux qu'une offre du même type dans la LNH.

Le porte-parole de la ligue, Alexei Lapoutine, assure que la KHL ne peut pour l'instant prétendre rivaliser avec la LNH sur la plan de la qualité du jeu. "La LNH existe depuis 100 ans. Nous, c'est notre première année", rappelle-t-il. Mais elle peut au moins le faire d'un point de vue pécuniaire. "La concurrence économique, c'est une chose tout à fait normale dans le monde capitaliste", souligne M. Lapoutine.

Objectif: rivaliser avec la LNH

Lavoie, Frédérick
Collaboration spéciale

Moscou - À l'heure actuelle, la Ligue continentale de hockey (KHL) n'a pas la prétention de rivaliser avec la LNH. Mais rien ne dit que ce ne sera pas le cas dans quelques années.

"En moyenne, les équipes de la KHL sont moins bonnes que celles de la LNH", constate le journaliste sportif Dmitri Kouznetsov. Mais les meilleures équipes seraient certainement capables de jouer dans la LNH, sans toutefois pouvoir prétendre à la Coupe Stanley", estime-t-il.

M. Kouznetsov a suivi de près l'évolution du hockey, des sombres années postsoviétiques à aujourd'hui, et il est catégorique: "Le calibre a augmenté. Le hockey est devenu plus intéressant."

"Le jeu est plus intense, plus robuste, et il y a plus de buts", poursuit Alexei Lapoutine, porte-parole de la nouvelle ligue. À son avis, cela est attribuable plus à un changement d'attitude qu'à de nouvelles règles, puisque celles-ci n'ont subi que des modifications mineures.

"Nous jouons [principalement] selon les règles de la Fédération internationale (FIHG). Mais nous avons recommandé aux arbitres d'être plus flexibles à l'égard des contacts. Maintenant, ils sévissent pour les coups salauds, mais moins pour les jeux un peu rudes", dit-il.

S'il est difficile de comparer la qualité du jeu des deux meilleures ligues du monde, puisque "le hockey en Europe est bien différent de celui en Amérique", comme le souligne Dmitri Kouznetsov, la KHL espère tout de même un jour être à même de concurrencer la Ligue nationale. "Le but actuellement est surtout de rassembler des forces pour lancer notre ligue, qui part pratiquement de zéro, et après, d'égaler le niveau de la LNH", explique Alexei Lapoutine.

Pour l'instant, la plupart des hockeyeurs qui choisissent la KHL sont des joueurs de "catégorie moyenne", souligne son porte-parole. Certaines vedettes, comme Jaromir Jagr, voient de leur côté la KHL comme un bon endroit pour terminer leur carrière tout en continuant à gagner un bon salaire. "Quand les joueurs auront compris qu'ici c'est stable, qu'il y a des organisations fiables et qu'on paie bien, ils viendront. Ça commencera avec les joueurs qui ont des contrats à deux volets (LNH et Ligue américaine) et qui peuvent être rétrogradés dans les clubs-écoles, prédit-il. Ce sont eux qui seront les plus intéressés."

Le journaliste Dmitri Kouznetsov s'attend toutefois à ce que la ligue réussisse rapidement à mettre le grappin sur des joueurs renommés et encore au sommet de leur forme. "Déjà l'an prochain, nous essayerons d'avoir de plus grands noms. Nous n'aurons probablement pas Ovechkin, Malkin ou Kovalchuk dans les prochaines années. Mais lorsque leurs contrats se termineront dans trois ou quatre ans, c'est bien possible."

Les Québécois apprécient l'expérience

Lavoie, Frédérick
Collaboration spéciale

Moscou - "À Montréal, j'étais un remplaçant. Ici, ils ont besoin de moi." Éric Landry a beaucoup galéré entre la Ligue nationale et la Ligue américaine avant de prendre le chemin de la Suisse en 2003. L'an dernier, il a accepté l'offre du Dynamo de Moscou. Et il est loin de le regretter.

"Si on m'offrait un contrat de trois ans ici, c'est sûr que je signerais", fait savoir d'entrée de jeu l'attaquant de 33 ans.

Éric Landry a pu constater l'évolution entre la Superliga, dans laquelle évoluait le Dynamo l'an dernier, et la nouvelle Ligue continentale, qui a vu le jour à la fin de la dernière saison. "Les règles sont plus claires. Ils ont changé l'image de la ligue et les équipes sont devenues plus prestigieuses", note-il.

À son avis, les joueurs étrangers ne devraient ainsi plus avoir peur de venir jouer en Russie, un pays longtemps réputé pour l'opacité de ses transactions financières et l'implication du crime organisé dans le monde des affaires. "Tous les contrats (des joueurs) sont désormais rédigés de manière uniforme."

Sur la glace, Éric Landry a trouvé en Russie une ligue à sa mesure. "Ici, l'équipe ne dépend pas seulement de toi, alors qu'en Suisse, oui. Ici, on se fie plus aux joueurs russes. Les étrangers, c'est un peu un luxe pour les équipes, constate-t-il. Dans la Ligue nationale, je n'avais pas de rôle en particulier. J'étais plus content de jouer que de faire la différence."

Éric Landry n'avait amassé que 14 points en 68 matchs dans la LNH, à Calgary et à Montréal. À son avis, plusieurs joueurs qui n'arrivent pas à se tailler une place en Amérique du Nord trouveront la leur dans la KHL. "Nous étions des joueurs de premier ou deuxième trio, mais (dans la LNH) nous étions relégués au troisième ou au quatrième. Quand je jouais à Montréal, j'étais content de jouer neuf minutes par match. Ici, c'est plutôt entre 15 et 19 minutes."

Pierre Dagenais

Un autre ancien du Canadien, Pierre Dagenais, a choisi de quitter l'Autriche pour se joindre au Traktor de Tcheliabinsk cette année. Il ne cache pas que la Russie est devenue très intéressante d'un point de vue financier. "Je gagne autant d'argent sinon plus que lorsque je jouais avec le Canadien", révèle-t-il. Pour des joueurs de son calibre, les salaires peuvent atteindre "le double, peut-être le triple" des salaires dans la LNH.

L'ailier gauche de 30 ans avait tout de même quelques appréhensions à l'idée de s'installer à Tcheliabinsk, une ville d'un million d'habitants située à 1500 kilomètres de Moscou, au pied de l'Oural. Il avait d'ailleurs décidé de venir seul le premier mois, avant de faire venir sa femme et ses deux jeunes enfants si les conditions de vie étaient assez bonnes. Aujourd'hui toutes ses craintes sont tombées.

"Je m'attendais à bien pire. Les gens me disaient de ne pas sortir, que ça pouvait être dangereux. Quand tu te promènes, les bâtiments sont assez vieux, mais à l'intérieur, c'est assez neuf", constate Pierre Dagenais, qui jouera son premier match dans la KHL ce soir, contre le Khimik de Voskressensk.

Les équipes a surveiller

La KHL compte 24 équipes, réparties en quatre divisions portant les noms d'anciennes étoiles du hockey soviétique: Bobrov, Tarassov, Kharlamov et Tchernychev.

Plusieurs équipes seront familières à ceux qui ont suivi l'évolution des Lecavalier, Jagr, Kovalev et autres dans la Superliga russe, lors du lock-out de 2004-2005 dans la LNH. Ceux qui se souviennent des neuf Super Séries entre 1976 et 1991, ces matchs hors-concours entre des équipes soviétiques et de la Ligue nationale, reconnaîtront aussi des clubs légendaires. Trois des équipes deMoscou, le Spartak, le CSKA et leDynamo, y ont participé à plusieurs reprises.

À surveiller aussi, l'équipe d'Alexander Radulov, le Salavat Ioulaev d'Oufa, championne de la Superliga l'an dernier, et le Metallurg de Magnitogorsk, vainqueur de la Coupe des Champions d'Europe cette année. Les yeux étrangers seront aussi tournés vers l'Avangard d'Omsk, où le capitaine Jaromir Jagr fait un retour, après y avoir joué durant le lock-out.

Il sera aussi intéressant d'observer comment se débrouilleront les trois équipes non russes, le Barys d'Astana (Kazakhstan), leDynamo de Minsk et leDynamo de Riga. Ces équipes n'ont pas à respecter un quota de joueurs étrangers, contrairement aux équipes russes, qui ne peuvent mettre sous contrat plus de cinq joueurs réguliers étrangers, ou un gardien et trois réguliers.

La première saison de la ligue a débuté le 2 septembre et se terminera le 26 février. Chaque équipe disputera 56 matchs. À partir du 1er mars, les 16 meilleures formations participeront aux séries éliminatoires. La grande finale de la coupe Gagarine est prévue pour le 12 avril. (Ce même jour, en 1961, le cosmonaute soviétique Iouri Gagarine a fait le premier voyage habité dans l'espace.)

La plupart des patinoires de la ligue mesurent actuellement 61 mètres de longueur par 30 mètres de largeur, conformément aux normes de la Fédération internationale de hockey sur glace. Les autorités de la KHL veulent toutefois diminuer les surfaces glacées dès l'an prochain à 28mètres de largeur, afin d'accélérer le jeu. Les dimensions réglementaires dans la LNH sont de 61x26mètres. Les matchs de la KHL peuvent être regardés sur le site (seulement en russe) news.sportbox.ru.

Les meilleurs salaires

Le plafond salarial est établi à 620 millions de roubles (24,2 M$) par équipe de 25 joueurs. Elles ont le droit de payer un total de 17,2 M$ pour 21 joueurs et 7 M$ pour quatre de leurs "étoiles".

Le plus haut salaire révélé jusqu'à maintenant par la presse russe est celui d'Alexei Morozov, le capitaine de l'équipe nationale russe, qui évolue avec le Ak Bars de Kazan. Il toucherait environ 4 M$ par saison, mais les chiffres officiels ne sont pas disponibles, les joueurs n'ayant en théorie pas le droit de dévoiler leurs revenus. En 2003-2004, Morozov gagnait 1,5 M$ avec les Penguins de Pittsburgh.

Le contrat signé en juillet par Jaromir Jagr avec l'Avangard d'Omsk serait toutefois plus important. Dans une entrevue à la chaîne TSN peu après qu'il eut changé de ligue, le vétéran tchèque a déclaré avoir signé pour 5 M$ par saison. Alexei Yashin, du Lokomotiv de Iaroslav, empocherait de son côté environ 3 M$.

Le cas Radulov

Depuis des années, les Russes accusaient la Ligue nationale de leur voler leurs meilleurs jeunes joueurs, comme Evgeni Malkin en 2006. En mettant sous contrat Alexander Radulov en juillet, un an avant la fin de son entente avec les Predators, la nouvelle Ligue continentale de hockey a pris une petite revanche. Petite, mais qui a fait bien des remous.

La LNH est furieuse. Les Russes, eux, disent qu'il avait pleinement le droit de rompre son entente avec Nashville puisqu'il a joint le club d'Oufa avant que la LNH et la KHL ne s'engagent, au début du mois, à ne pas embaucher de joueurs encore sous contrat dans l'autre ligue.

Cet accord entre les deux ligues devrait en théorie empêcher d'autres litiges du genre. Pour l'instant, Radulov demeure tout de même exclu par la Fédération internationale de hockey sur glace de toute compétition internationale. La KHL a de son côté retiré ses plaintes contre cinq joueurs qui avaient suivi le chemin inverse vers la LNH.

Le cas Radulov risque désormais de se retrouver en cour. Pendant ce temps, l'attaquant russe de 22 ans a débuté la saison avec le Salavat Ioulaev. Il a déjà récolté quatre points (un but, trois passes) en trois matchs.

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