jeudi 21 août 2008

Gori: Au-delà de la propagande

Publié dans La Presse le 21 août 2008 et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
Collaboration spéciale, La Presse
Gori, Géorgie

On en parlait comme d'une ville abandonnée, où les quelques Géorgiens restants mouraient pratiquement de faim. Les forces russes et sud-ossètes, disait-on, bloquaient l'aide humanitaire et commettaient des atrocités indescriptibles contre la population. Si la vie est loin d'être rose à Gori, sous occupation russe depuis plus d'une semaine, la propagande a réussi à en faire une ville martyre bien utile à la cause géorgienne dans le conflit qui l'oppose à la Russie. La Presse a pu le constater sur place.

«Nous n'avons manqué de rien.» Daredjan Tvarelidze n'a pas quitté Gori depuis les premiers bombardements russes sur la ville le 8 août dernier. C'était quelques heures à peine après que les forces géorgiennes eurent lancé une attaque sur Tskhinvali, la capitale de la région séparatiste de l'Ossétie-du-Sud, située à quelque 30 km au nord-est de Gori.

Dans le petit dépanneur où nous faisons la connaissance de Daredjan, les étalages sont plutôt bien garnis pour un temps de guerre. «Ce sont des restes», explique le tenancier, qui n'a pas reçu de livraison depuis le début des hostilités. Des bombardements jusqu'à l'occupation russe, l'établissement de la rue Samepo, au centre-ville de Gori, a tout de même été ouvert tous les jours.

Si le dépanneur peut encore répondre à la demande, c'est aussi qu'elle n'est pas trop forte. L'écrasante majorité des quelque 50 000 âmes que compte la ville natale de Joseph Staline en temps de paix a fui la ville pour la campagne ou pour la capitale Tbilissi. Daredjan et ses voisines estiment qu'à peine une quinzaine de personnes sur le millier de résidants de la rue Samepo sont restées durant les hostilités.

Daredjan est loin d'apprécier la présence des soldats russes dans sa ville. «Ils contrôlent toutes les rues. Ça agit sur la psyché des gens. Ils ont peur de ce que (les soldats) peuvent faire durant les heures de couvre-feu», raconte-t-elle, citant comme exemple les échanges de coups de feu entendus la nuit précédente, sans qu'on puisse dire d'où ils provenaient.

Avant les soldats, Daredjan et la plupart des habitants rencontrés craignaient toutefois surtout les pillards, d'origines diverses, qui rôderaient toujours dans la ville, parfois même le jour. Par contre, elle indique n'avoir été témoin d'aucune atrocité commise par les forces russes.

«Ils ne sont pas vulgaires avec nous», poursuit Bagrad Khikhalachvili, qui habite à deux pas de l'une des bases militaires géorgiennes bombardées, où les Russes ont établi leur quartier général.

«Ils ont même voulu nous donner de l'argent, mais personne ne l'a pris. Nous sommes un peuple comme ça», explique le médecin de 59 ans, qui a lui-même souvent offert des cigarettes aux soldats russes.

Depuis le début des hostilités, Bagrad ne boit «que du café et ne mange que de temps en temps. C'est pour en laisser aux plus démunis», explique-t-il.

Aide humanitaire mal organisée

Même si la base de l'alimentation se résume à du pain pour la plupart, personne ne meurt de faim à Gori, nous ont expliqué plusieurs habitants hier. Par contre, les critiques envers l'organisation de l'aide humanitaire fusent de toutes parts.

«Ils nous ont menti. Je suis ici depuis 6h ce matin. Ils disaient toujours: 'Dans une heure, dans deux heures ', mais ils ne nous ont finalement rien donné», maugrée Svetlana Markichvili, alors qu'elle quitte les mains vides les marches du centre sportif de Gori, 11 heures après son arrivée.

Pourtant, malgré les permissions parfois contradictoires des autorités russes, l'aide humanitaire arrive bel et bien à Gori depuis quelques jours. Hier matin, alors que les journalistes étaient interdits d'accès à la ville, les camions transportant des provisions offertes par des ONG internationales passaient sans problème les postes de l'armée et des forces de maintien de la paix russes entre Tbilissi et Gori.

Mais une fois sur place, la distribution est laborieuse. Artchil Tchilatchidze, 83 ans, n'a pas réussi à obtenir quoi que ce soit hier. «Certains en prennent pour cinq personnes, alors que d'autres n'ont rien, dénonce l'homme, qui se déplace difficilement. «Ils m'ont dit de revenir demain, mais j'ai répondu qu'un homme malade ne peut pas revenir tous les jours!»

«Erreurs» de cibles

Un humanitaire a reconnu hier après-midi que la situation était moins catastrophique qu'elle avait pu être décrite auparavant. «C'est détruit, mais moins que ce à quoi on s'attendait», a indiqué à La Presse Christoph Tobierwith, représentant adjoint du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, alors qu'il terminait une visite de la ville.

Dans le centre-ville, en suivant les indications d'une citoyenne, nous n'avons pu observer qu'un seul édifice touché par une bombe. Une bonne partie des bâtiments toutefois a eu les vitres soufflées par les déflagrations, dont le musée à la mémoire de Staline. Des trous de balles étaient perceptibles un peu partout sur les murs de la ville.

Un peu plus loin, à quelques mètres d'une réserve de chars de l'armée géorgienne attaquée par l'aviation russe, trois édifices à logements et une maison ont été fortement endommagés. Plus d'une dizaine de civils ont péri lorsque les bombes ont dépassé leur cible initiale.

Les Géorgiens du secteur rencontrés estimaient toutefois que les Russes avaient vraisemblablement toujours voulu viser des cibles militaires et qu'ils avaient parfois commis des «erreurs» en touchant les édifices adjacents.

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