mercredi 21 mai 2008

Les bleus de la révolution des roses

Article publié dans le journal La Presse le 21 mai 2008

Lavoie, Frédérick
Collaboration spéciale

TBILISSI - Les espoirs étaient aussi gigantesques que le ras-le-bol populaire. Il y a quatre ans, le jeune juriste Mikaïl Saakachvili arrivait au pouvoir en Géorgie, à la suite de la pacifique "révolution des roses". Aujourd'hui, plusieurs de ses alliés ont quitté le navire, l'accusant d'autoritarisme. Et ils menacent de descendre à nouveau dans la rue, dans la foulée des législatives d'aujourd'hui.

Eka se rendait chaque jour sur la place de la République de Tbilissi lors des manifestations monstres de novembre 2003 pour réclamer la démission du président Édouard Chevarnadze, accusé d'avoir falsifié les élections parlementaires.

En novembre dernier, elle était aussi dans les rues de la capitale. Mais cette fois, c'était pour exiger le départ de Mikaïl Saakachvili, en qui elle avait fondé tous ses espoirs de changements lors de la révolution des roses.

"Il a vendu la Géorgie", a dit dimanche dernier la dentiste de 30 ans, lors d'un rassemblement de l'Opposition unie, une coalition de neuf partis, pour la plupart d'anciens membres de l'équipe Saakachvili.

Elle accuse le président, qui a longtemps vécu à l'étranger, d'avoir donné le contrôle du pays "aux Russes et aux Américains" en privatisant plusieurs secteurs de l'économie de l'ex-république soviétique du Caucase.

"Ça m'a pris environ un an à me rendre compte que les gens étaient sortis dans les rues en vain. Il (Saakachvili) avait vraiment une bonne campagne de relations publiques", constate Eka.

Un autre Poutine?

L'ex-ministre des Affaires étrangères, Salome Zourabichvili, estime elle aussi s'être laissée berner par le héros de la révolution.

Elle compare le régime Saakachvili d'aujourd'hui à celui de Vladimir Poutine en Russie. "Sauf que nous avons une bonne image à l'étranger", dit-elle, en référence aux proches relations du président géorgien avec l'Occident, particulièrement avec son homologue américain George W. Bush.

"Tout le processus des quatre dernières années a eu lieu sans aucune transparence, dénonce-t-elle. La corruption qui a disparu des niveaux primaires - des petits policiers et bureaucrates - est de nouveau en hausse. Dans tous les monopoles d'importation, chacun contrôlé par un membre du gouvernement."

Petre Mamradze a une tout autre analyse. "La Géorgie a réalisé en quatre ans ce qui se fait habituellement en 155", soutient le candidat aux législatives du Mouvement national, le parti de Saakachvili.

Il rappelle ainsi qu'en 2003, son leader a hérité d'un "État en défaillance. Tout le monde savait comment coûtait une décision de la cour".

M. Mamradze ne s'étonne toutefois pas que les déçus soient nombreux. "Les réformes ont été très dures. Ceux qui ont perdu leur statut ne sont évidemment pas contents." Il cite par exemple les quelque 20 000 policiers "corrompus" renvoyés du jour au lendemain peu après la révolution.

Il réfute les accusations d'autoritarisme et assure que le pays n'a pas été vendu. "Tout appartient encore au peuple, mais l'administration [de certains secteurs] vient d'Occident", nuance-t-il.

Dans la rue

Malgré les déçus, le Mouvement national, déjà majoritaire au Parlement, est donné gagnant des législatives avec 44% des voix, contre 12% pour l'opposition unie.

Les groupes d'observateurs des élections accusent toutefois le parti au pouvoir d'utiliser les ressources de l'État pour faire campagne. L'opposition soutient que certains de ses candidats et électeurs ont été intimidés, mais sans pouvoir fournir de preuves tangibles dans la plupart des cas.

L'opposition a promis de contester le résultat des élections, comme elle l'a fait lors du scrutin présidentiel de janvier dernier, remporté par Mikhaïl Saakachvili avec 52,5% des votes.

"Nous avons tout misé sur un changement par les élections, parce que nous pensions que la Géorgie ne pouvait se permettre encore un changement par la rue, dit Salome Zourabichvili. Manifestement, je ne suis pas sûre qu'on va y arriver."

Elle assure toutefois que ce soir, "si quelqu'un sort dans les rues, ce ne sera pas l'opposition. Ce sera la population".

Fiche technique:
GÉORGIE

Géographie : Bordé à l'ouest par la mer Noire, le pays s'étend sur 69 700 km2.

Population: Environ 4,7 millions d'habitants, rurale à 47,7%. Minorités arménienne, russe, azérie, grecque, ossète et abkhaze.

Capitale: Tbilissi, 1,2 million d'habitants.

Religion: L'Église chrétienne orthodoxe, très fortement majoritaire (84%), est religion d'État. Le pays compte aussi 10% de musulmans. Minorité catholique de quelque 50 000 membres.

Histoire: Royaume chrétien annexé par la Russie en 1801. Après avoir proclamé son indépendance en 1918, la Géorgie est occupée en 1921 par l'Armée rouge puis rejoint l'URSS. Depuis l'indépendance de 1991, deux régions autonomes, l'Ossétie-du-Sud et l'Abkhazie, ont fait sécession et sont de facto des États indépendants.

Situation politique: République. Le gouvernement est soumis directement au président.

Croissance: 12% en 2007.

Chômage: Plus de 20% en 2007. Selon certains experts, le taux réel frôle les 50%.
(D'après AFP)

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