lundi 3 mars 2008

Russie: La fin de l'opposition?

Publié dans le journal La Presse le 1er février et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

Andreï Bogdanov se considère comme un «candidat de l'opposition» pour la présidentielle russe de demain. Mais il n'hésite pas à défendre le bilan du président sortant. Ses détracteurs, eux, le traitent de «collabo» du Kremlin. Après huit ans de régime de Vladimir Poutine, les seuls opposants autorisés à se présenter à sa succession doivent lui prêter allégeance.

Andreï Bogdanov nous reçoit dans les chics bureaux moscovites de son minuscule Parti démocratique. «Le pays se développe sans cataclysme, révolution ou guerre», fait remarquer le politologue de 38 ans à la longue chevelure bouclée qui lui donne des allures de rock star. «Pour ça, je remercie Poutine.»

Pas question pour lui d'attaquer de front son principal concurrent, Dmitri Medvedev, le dauphin de Poutine, crédité de 73% des intentions de vote. Selon lui, il est normal que le premier vice-premier ministre, autrefois peu visible, soit partout sur les écrans de télévision depuis le début de la campagne, laissant peu de place aux trois autres candidats, dont lui-même. «C'est dans le cadre de ses fonctions. (...) Ce qu'il fait, il le fait selon la loi», défend M. Bogdanov, qui est aussi grand maître de la loge de francs-maçons de Russie.

Le politicien va même jusqu'à prendre sur lui le blâme pour la quasi-disparition de l'opposition en Russie. Selon lui, si les «démocrates», dont il dit faire partie, s'étaient unis il y a cinq ans, ils auraient pu influencer les lois qui ont été adoptées depuis pour les exclure pratiquement du jeu politique.

Lors des législatives de décembre dernier, les derniers députés libéraux ont perdu leurs sièges à la Douma (chambre basse). Les partis pro-Kremlin sont largement majoritaires, alors que le Parti communiste fait office d'opposition, même s'il est souvent en accord avec le pouvoir.

Au cours des derniers mois, tous les candidats qui s'opposaient avec virulence au régime du président Poutine ont dû abandonner la course au Kremlin.

L'ancien champion d'échecs Garry Kasparov, chef de la coalition l'Autre Russie, a lancé la serviette dès décembre, accusant les autorités d'intimidation et de harcèlement pour l'empêcher de se présenter.

Mikhaïl Kassianov, ex-premier ministre de Poutine devenu opposant, avait réussi à amasser les deux millions de signatures nécessaires pour appuyer sa candidature mais, au dernier moment, la commission électorale l'a rejetée. Un trop grand nombre d'entre elles étaient non valides ou falsifiées, selon la commission.

Même si le Parti démocratique a récolté moins de 90 000 voix (0,13%) lors des élections législatives de décembre, Andreï Bogdanov, lui, n'a eu aucun problème à récolter les deux millions de signatures.

Cela a fait dire à plusieurs observateurs que pour accomplir cette tâche colossale, sa petite formation avait reçu l'aide du Kremlin, qui souhaitait se servir de sa candidature pour donner une apparence de démocratie à l'élection présidentielle. M. Bogdanov réfute ces allégations.

Contrôle total

Pour la politologue Maria Lipman, une chose est certaine. «Le Kremlin peut bloquer l'accès au champ politique à toute personne ou parti qui ne lui plaît pas.» Durant ses deux mandats à la présidence, Vladimir Poutine a pris le contrôle «formel et informel» de toutes les institutions du pays, explique Mme Lipman, rattachée au Centre Carnegie de Moscou.

Pour sonner le glas de l'opposition tout en conservant des apparences de démocratie, le Kremlin a entrepris de tout simplement la remplacer par des gens plus dociles. Alors qu'il devenait de plus en plus difficile pour les ONG et les partis politiques de s'enregistrer en Russie, des organisations fidèles au pouvoir sont apparues pour accomplir des rôles similaires.

Résultat: privés d'accès aux médias de masse contrôlés par le Kremlin, les opposants les plus féroces sont pour la plupart des inconnus en leur propre pays. Il ne leur reste guère plus que la rue et quelques médias indépendants pour faire connaître leurs idées.

Malgré tout, Édouard Limonov, le président du comité exécutif de l'Autre Russie ne croit pas du tout en la mort de l'opposition. Si l'opposition parlementaire n'existe plus, celle de la rue est bien vivante, assure l'écrivain de 65 ans, en référence à sa coalition hétéroclite de plusieurs petits partis.

«Le pouvoir tremble chaque fois que nous annonçons une Marche du désaccord. S'ils sont si forts, pourquoi font-ils descendre jusqu'à 20 000 policiers dans les rues?» questionne-t-il. Rarement plus de 4000 personnes participent à ces marches, qui se terminent souvent par des arrestations massives.

Édouard Limonov image la stratégie de l'Autre Russie par celle du toréador avec son drap rouge. «Cet État est un véritable taureau: idiot, fort dans son pays, mais complètement sans cerveau. Alors, il faut l'énerver(...), faire de plus en plus de marches pour l'épuiser.»

La coalition a bien tenté de négocier avec le régime Poutine par le passé, révèle Édouard Limonov, mais rien à faire. Selon lui, le Kremlin ne veut pas satisfaire leur seule exigence: «Des élections libres».

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