lundi 3 mars 2008

Medvedev élu haut la main (ou l'élection vue de Mordovie)

Publié dans La Presse le 3 mars 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Saransk, Russie

Sans aucune surprise, Dmitri Medvedev a été élu hier nouveau président de la Russie, récoltant 70% des voix après le dépouillement de 90% des bulletins de vote. Il succède à Vladimir Poutine, qui l'avait désigné comme son dauphin en décembre, ne pouvant se présenter lui-même pour un troisième mandat consécutif. Si la victoire de Medvedev ne faisait aucun doute, les résultats du scrutin sont déjà contestés par plusieurs observateurs et opposants, particulièrement dans certaines régions éloignées de Moscou. Notre collaborateur spécial a suivi le déroulement du scrutin à Saransk, capitale de la république de Mordovie (640 km à l'est de Moscou), où le parti de Poutine et Medvedev avait obtenu jusqu'à 109% des voix lors des législatives de décembre.


Vitali Borodkine conduit à vive allure sur une route de campagne près de Saransk, tout en parlant au téléphone avec son frère Ivan. «Un homme est allé dans un bureau de scrutin avec trois passeports et on l'a laissé voter trois fois!» crie-t-il en raccrochant.

Dans sa petite Lada, l'énergique avocat de 47 ans, l'un des hommes de confiance en Mordovie du candidat communiste Guennady Ziouganov, fait le tour des bureaux de scrutin pour enregistrer les violations à la loi électorale.

Ses camarades et lui doutent fortement de la transparence du scrutin présidentiel d'hier. Surtout depuis que leurs adversaires du parti Russie unie ont obtenu plus de 93% des voix en Mordovie, traditionnellement communiste, lors des législatives de décembre. Dans certains bureaux de scrutin, le parti de Poutine avait récolté jusqu'à 109% des voix des électeurs inscrits, avant le décompte final. Hier, selon les résultats partiels, le communiste Ziouganov a obtenu à peine 1% des voix, contre 98,11% pour Dmitri Medvedev.

Arrivé au bureau de scrutin du Palais des arts du village de Chaïgovo, Vitali Borodkine s'informe des détails de l'incident des passeports auprès de son frère, dépêché comme observateur un peu plus tôt. Ivan explique qu'un homme a pu voter pour sa femme et son fils en présentant leurs pièces d'identité. «Nous l'avons dit à la directrice du bureau de scrutin, mais elle ne réagit pas,» ajoute Ivan.

Un autre observateur communiste a réussi à noter les coordonnées de l'électeur. «Nous avons assez de témoins et de preuves pour monter un dossier contre la membre de la commission (électorale) qui lui a permis de faire ça. Ça ira au criminel!» assure Vitali, satisfait d'avoir un cas «concret» de violation de la loi.

Questionnées par La Presse, l'employée électorale tout comme la directrice du bureau ont nié les accusations. «Ils veulent nous compromettre pour dire que les élections sont falsifiées», répond la directrice Natalia Tsyganova. Indépendamment de son travail temporaire à la commission électorale, cette responsable de garderie est aussi membre du parti Russie unie, qui appuyait le vainqueur Dmitri Medvedev.

Dans le même bureau de vote, les communistes ont aussi accusé une policière qui assurait la surveillance d'avoir voté à deux reprises durant la journée, ce que la principale intéressée a nié vigoureusement. «Qu'est-ce que vous dites là! Je n'ai voté que pour moi-même! Ce matin, je ne faisais que demander à la directrice si le vote était commencé», justifie Lioubov Semouchonkova, devant l'observateur communiste qui jure l'avoir vu à deux reprises déposer un bulletin dans l'urne.

La Presse n'était pas en mesure de vérifier ces déclarations contradictoires et ne pouvait que constater l'ambiance de confrontation dans différents bureaux de scrutin entre les communistes et les membres de la commission électorale.

Agitateurs et flâneurs

Quelques kilomètres plus loin, à l'école du village de Meltsany, plusieurs hommes flânent sur le parvis de l'établissement, transformé en bureau de scrutin. «Ce sont des agitateurs (pour Medvedev)», chuchote Vitali Borodkine. Peu après qu'il se soit présenté à eux, les hommes quittent les lieux.

À l'intérieur, un homme dans la soixantaine rôde près des urnes. Il s'enquiert des raisons de la présence du représentant de La Presse, mais refuse de prime abord de se présenter, ne faisant que confirmer qu'il n'a pas voté dans ce bureau. Finalement, il admettra être... député du parti Russie unie à l'assemblée de Mordovie et l'un des hommes d'affaires importants de la région. Plusieurs électeurs lui serrent la main en le reconnaissant.

À l'école #24 de Saransk, une enseignante venue «bénévolement faire la garde» accueille les électeurs, plusieurs étant des parents de ses élèves. «Vous êtes intelligents», chuchote-t-elle à deux d'entre eux, après leur sortie du bureau de vote, selon toute apparence en référence à leur choix de candidat.

«C'est dégueulasse. Les instituteurs et les médecins, ceux qui s'occupent de l'âme et du corps de notre population, sont vendus au pouvoir!» s'indigne Vitali Borodkine, convaincu que les enfants pourraient avoir des problèmes si leurs parents ne venaient pas voter. Des cas similaires ont été rapportés lors des élections de décembre, notamment à Moscou.

Contrairement aux communistes, le quartier régional de campagne du candidat Medvedev n'avait enregistré aucune plainte hier après-midi pour violation de la loi électorale, a indiqué son directeur Vladimir Guerchev. «Si nos observateurs avaient noté une irrégularité, ils nous auraient déjà avertis.»

Lorsqu'on lui fait part du témoignage d'un citoyen dont la mère fonctionnaire a reçu un appel de son patron la veille du scrutin pour la sommer de voter pour le candidat du pouvoir Dmitri Medvedev, M. Guerchev répond calmement. «Évidemment, plusieurs personnes ont tenté de convaincre leur entourage de voter comme eux. Mais lorsque vous êtes dans l'isoloir, vous faites ce que vous voulez.»

Les résultats*

Dmitri Medvedev (Russie unie): 70%
Guennady Ziouganov (Parti communiste): 17,9%
Vladimir Jirinovski (Parti libéral-démocrate, extrême droite): 9,5%
Andreï Bogdanov (Parti démocratique): 1,2%

*après le décompte de 90% des bulletins de vote

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Très intéressant. Je suis tombé sur votre article suite à l'affaire Depardieu. Je suis particulièrement stupéfait qu'une élection ait pu donné des pourcentages de 109%!! J'ai chercher des sources concernant cette info pour les élections 2007 mais je ne trouve rien. Auriez-vous la source svp?

Fredotchka a dit...

Bonjour, je viens tout juste de voir votre commentaire.
Il existe peut-être des sources en français, mais les miennes étaient en russe. http://www.newizv.ru/lenta/2007-12-05/81106-v-mordovii-za-edinorossov-progolosovali-109-izbiratelej.html

Je raconte plus longuement mon aventure électorale en Mordovie dans mon récit «Allers simples», publié l'automne dernier.