mardi 26 février 2008

À 80 km de Moscou, on vote encore Poutine

Article publié dans le journal La Presse le 26 février 2008 et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Nadejdino, Russie

Les Russes sont appelés dimanche à élire leur prochain président. Le dauphin de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev, a toutes les chances d'être élu dans ce scrutin d'où toute opposition réelle a été exclue. Même dans des villages fantômes privés de tout, le régime actuel a la cote, comme le constate notre collaborateur spécial.


Le camion s'arrête devant quelques vieilles maisons en bois défraîchies. Rassemblés au bord du chemin, les huit habitants permanents de Nadejdino attendent leur épicerie ambulante - exception faite de ce que leur apportent parfois leurs proches, c'est l'unique moyen d'approvisionner ce village désert.

Situé à 80 kilomètres de Moscou, Nadejdino est à un demi-siècle de la bouillonnante capitale russe. Ici, il n'y a ni eau chaude ni gaz. Pourtant, la Russie est le premier exportateur mondial de cette ressource. Le marché le plus proche est à 10 kilomètres et aucun des habitants du village, tous des retraités, n'a de voiture.

L'été, le village est envahi par de riches Moscovites qui y ont construit des datchas. Mais en hiver, Nadejdino est un village fantôme, où les denrées de base sont acheminées une fois par semaine par un camion exploité, à perte, par l'Union des coopératives de consommateurs de la région de Moscou.

Le choix de produits est peu varié. « Il y a tout ce qui est essentiel à la vie d'un être humain! » fait pourtant remarquer Aleksander Markov, l'un des deux seuls hommes du village, attendant son tour pour être servi.

Loin de se plaindre, il compare sa situation actuelle à celle des dures années 90. «Il n'y avait rien dans les magasins. Aujourd'hui, tout a changé pour le mieux. Si tu as de l'argent, tu peux tout acheter», lance ce chauffeur de camion retraité.

Pour M. Markov, une personne est à l'origine de tous ces changements positifs: Vladimir Poutine. «Il nous a sortis du trou dans lequel nous étions», dit-il. Dimanche prochain, il votera sans hésiter pour Dmitri Medvedev, le dauphin du président sortant. «Il marchera dans ses traces. Et de toute façon, Poutine sera son bras droit», se rassure M. Markov.

Nostalgie


Quelques kilomètres plus loin, à Denejkino, il ne reste plus qu'une dizaine de veuves nostalgiques de l'époque soviétique. La fermeture des fleurons de l'industrie soviétique en 1991 a fait fuir les jeunes.

« Nous avions un kolkhoze (ferme collective) vraiment riche avant», se souvient Tatiana Ivankina, dont la famille est implantée dans le village depuis 200 ans. « Maintenant, c'est devenu une société par actions, ou quelque chose comme ça», poursuit son amie Raïssa Zaïtseva.

Mais nostalgie ou pas, ce n'est pas vers Guennady Ziouganov, le candidat du Parti communiste, que les babouchkas de Denejkino tournent leurs espoirs. «Je voterai pour Poutine, pour qui d'autre? » demande Mme Zaïtseva, avant de réaliser que le président sortant ne fait pas partie des candidats. «Medvedev, Poutine, ils sont ensemble» rectifie la dame de 65 ans à travers son sourire de dents en or.

« Il poursuivra les politiques de Poutine, renchérit Mme Ivankina. Et Poutine, c'est lui qui nous a relevés alors que le reste du monde était prêt à nous enterrer. »

Si les Denejkinoises appuient avec conviction le chef actuel de leur pays, elles reconnaissent que leur niveau de vie n'a pas vraiment augmenté depuis son arrivée au pouvoir il y a huit ans. « Moi, je ne peux même pas acheter de beurre», dit Mme Zaïtseva.

« Vous savez, nous ne sommes que de petites gens, souligne Mme Ivankina. Nous ne travaillons plus, alors nous n'avons pas vraiment ressenti d'amélioration à notre situation matérielle. Mais les travailleurs, eux, l'ont ressentie», soutient-elle.

L'épicerie ambulante repart vers un autre village. La « fête», comme l'appellent les habitantes, est terminée. En attendant le jeudi suivant, les babouchkas de Denejkino retourneront à leurs tâches avec, en arrière-fond, leur seul autre lien avec le reste du pays: la télévision, dont le contenu des nouvelles politiques est quasi entièrement contrôlé par le Kremlin.

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