lundi 18 février 2008

Chair à manifestation

Moscou, 15 février 2007 - On les a transportés dans la capitale par autobus. Des centaines de jeunes venus des villes aux alentours de Moscou spécialement pour la manifestation. Il n’y a pas de doute, le Mouvement jeunesse démocratique et antifasciste «Nachi» («Les Nôtres») dispose de moyens importants pour organiser ses événements patriotiques. Ne manque plus qu’à insuffler de l’entrain aux participants...

Au programme : une manifestation devant les bureaux moscovites de la Commission européenne pour protester contre la «liste noire» des Russes interdits de séjour dans l’Union européenne. Plusieurs membres de Nachi sont persona non grata dans les 24 pays européens faisant partie de l’espace Schengen, à la suite de leur participation aux manifestations contre le déplacement d’une statue en l’honneur d’un soldat soviétique à Tallin, en Estonie.

En avril 2007, le gouvernement estonien avait déménagé ce monument du coeur de la capitale vers un cimetière militaire de banlieue. Les Nachi et plusieurs Russes y avaient vu une volonté de la part du gouvernement estonien de faire oublier la contribution soviétique dans la victoire contre le nazisme. Par extension, ils l’avaient donc interprété comme un geste «fasciste».

Avant même d’en avoir la confirmation, j’avais deviné que la majorité des jeunes présents n’étaient pas des Moscovites endurcis: leur regard perdu devant la grandeur de la capitale ne laissait aucun doute. Ils tenaient les pancartes qu’on leur avait distribué sans grande conviction : «Aujourd’hui nous sommes mille, demain nous serons un million» ou encore «l’honneur du pays vaut plus qu’un voyage touristique».

J’aborde un jeune au premier rang. Il est costumé comme plusieurs de ses compatriotes en soldat soviétique de la Grande guerre patriotique (c’est comme ça qu’on appelle la Deuxième guerre mondiale en Russie). Il raconte que lui et ses amis sont partis à minuit la veille de Iaroslav et on fait cinq heures d’autobus (nolisé) pour se rendre à la manifestation anti-européenne. C’est la première fois qu’il vient à un événement du genre. Il n’est pas membre de Nachi, ce sont simplement des «connaissances» qui l’ont invité.

Un peu plus tard, je discute avec un autre jeune de Iaroslav. «Au fait, sais-tu c’est quoi au juste cette « liste noire» dont n’arrêtent pas de parler [les leaders au micro]?», lui demandai-je. «Ben... non, pas exactement», répond-t-il un peu embarassé. Puis, après m’avoir examiné de plus près, il repense à ce qu’il vient de dire au journaliste devant lui. «Ouais, en fait, je sais c’est quoi.» Il dit qu’il est venu ici pour «soutenir [son] pays». Il affirme être membre de Nachi et venir souvent aux manifestations, mais je ne sais plus trop si je dois le croire, avec ce regard suspicieux face à mes questions.

À 12h45, soit quarante-cinq minutes après le début de la manifestation, on reconduit les participants à leurs autobus. À peine arrivés, les quelque 200 jeunes de Iaroslav repartent pour un autre cinq heures de route vers la maison. Leurs confrères d’autres petites villes doivent se résigner à faire de même.

Ils n’auront été à Moscou quelques heures, le temps de remplir la Place slave, où se tenait le rassemblement du mouvement jeunesse pro-Poutine.

Au moins, ils pouvaient compter sur la passivité des policiers. Ils n’avaient pas à craindre de représailles contre une cause qu’ils ne semblaient pas trop saisir pour la plupart. Mais peu importe. La seule chose qu’on attendait de ces jeunes provinciaux, c’était leur présence. Ils n’étaient rien de plus que de la chair à manifestation.

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