lundi 27 août 2007

Chronique d'errance #6: Naïveté en péril

Écrite dans un parc de Rabat un 28 mai tourmenté, mouvementé. Enregistrée dans mon appartement casablancais le 2 juin. Mise en ligne après une longue réflexion.

C’est dans la bataille pour se trouver une place dans le monde que les humains grandissants rapetissent leur grandeur d’âme et perdent leur naïveté.

Et ils deviennent cyniques. Cyniques face à l’autre, croyant vraiment que c’est la seule façon de s’en sortir, d’en sortir gagnant et de faire leur place dans un monde qui ne peut être que cruel à leurs yeux.

Ils jouent. Mais ils ne s’amusent plus. Ils jouent avec les coeurs, avec les âmes des autres. Mais au bout du compte, ce sont eux qui souffrent le plus à se masquer l’intérieur de l’être. Ils finissent par avoir honte de leur coeur et de leur âme, surmaquillés pour être vendus. Pas au plus offrant, mais au moins prenant. À celui qui demandera le moins de regarder les recoins poussiéreux de ce qui fut jadis leur profondeur d’âme.

Ils jouent. Ils mettent sur la table un amour à la «pokerface» pour ne pas se dévoiler vraiment; ils friment; ils misent du vent, comme dans les jeux de stratégie et de hasard où le meilleur est celui qui s’oublie le plus la conscience et le naturel.

Peut-être est-ce une fatalité, de devenir quelqu’un à quelque part. De jouer le jeu dans un cadre établi, avec des règles de vertu qu’on ne cherche qu’à violer à tout instant, parce que finalement un jeu, c’est fait pour jouer, et des règles, c’est fait pour être violées. Parce qu’on a perdu au fil des années le sérieux de l’enfance. Oui, le sérieux de l’enfance, parce qu’un enfant ça ne joue pas, tant qu’il y a la naïveté pour le contraindre à être sincère.

Un enfant encore en enfance, ça respecte les règles de la bonne foi. Ça ne joue pas à l’amour calculé, à coup de haine réfléchie pour faire mal, de vengeance; ça ne joue pas à ces jeux malsains où l’on se fait mal en se disant que «c’est rien qu’un jeu alors ce n’est pas grave», mais qui finissent par nous détruire à petit feu. Même si c’est rien qu’un jeu. Un enfant c’est plus sérieux qu’un adulte brisé par les échecs qui le font se sentir honteux et se refermer et montrer ce qu’il n’est pas parce que ça fait moins mal si on le casse.

***

Plus je grandis, plus je dois me battre fort, me débattre pour ne pas perdre cette naïveté sincère, ce désir d’espoir, ce désir infini de croire, qui restent à mes yeux les plus beaux signes d’humanité.

Jusqu’à maintenant, je crois m’en être sorti. En naviguant à travers des mondes où je n’avais jamais à m’intégrer totalement. En recommençant presque toujours à zéro, en donnant la même chance du débutant à chacun des mondes et chacun de ses occupants de s’ouvrir sans complexe, sans peur, devant ma naïveté. Et de me laisser faire de même. Sans peur.

Il y a plein d’étoiles perdues qui combattent la désillusion, la résignation, le cynisme. Heureusement. Et il y a plein d’étoiles qui veulent s’ignorer, qui font du Mal à ne pas être capable de se faire du Bien et de faire du Bien.

***

J’ai de plus en plus mal des déceptions de plus en plus fortes, plus je grandis. La haine, les désirs de vengeance grattent sur les parois de ma tolérance et de mon désir de compréhension face aux attaques des faiblesses des autres.

J’ai peur de perdre ma naïveté.

Mais, heureusement peut-être, malgré moi, il y a encore en moi cet espoir inexplicable, intarissable, de voir naître et éclore l’humain chez chaque humain qui croise ma route.

1 commentaire:

ocoubou a dit...

Beaux questionnements!
«Être homme [ou femme j'imagine] c'est sentir en posant sa pierre [...] que l'on contribue à bâtir le monde.» Terre des Hommes, Antoine de Saint-Exupéry

Qu'est-ce qui nuit au potentiel de réalisation des êtres humains?
Le doute, le conformisme, la prudence...

L'humain est souvent horrible, mais je crois aussi à son potentiel incroyable.
Ne perd cette naïveté, cet idéalisme.